Guylaine BENECH, consultante formatrice en Santé publique
ADIXIO : En quoi cette génération diffère de celle de ses parents ?
Guylaine BENECH : Pour comparer, il faudrait disposer d’études chiffrées… Il y a aujourd’hui des produits qui n’existaient pas à l’époque de leurs parents, comme les "premix", ces alcools aromatisés type bière à la vodka ou rosé-pamplemousse, qui répondent à l’appétence des ados pour le sucre : à cet âge-là, on n’aime pas l’amertume. Mais ce qui n’a pas changé, c’est l’âge moyen de la première ivresse, qui se situe toujours à l’âge de 15 ans, avec des écarts de 10-11 ans à 17-18 ans. La première initiation se passe encore en famille : à l’occasion d’un événement festif, on fait goûter à son enfant un peu de vin ou de champagne, que souvent l’ado trouve « dégueulasse » ! La réelle première alcoolisation se passe en fait entre copains : il y a encore cette idée aujourd’hui selon laquelle il n’y a pas de véritable fête sans alcool.
A : Les jeunes semblent pourtant plus exigeants vis-à-vis de leur alimentation et consommation ?
G.B : Oui, on observe un léger recul du nombre de jeunes qui boivent, mais c’est moins marqué que dans les pays anglo-saxons. Il y a tout un travail de dé-banalisation à faire en France, où le discours de l’Etat est ambigu : il soutient à la fois les acteurs économiques de la filière, au nom de l’emploi, tout en promouvant la Santé Publique, ce qui est difficilement audible. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, on a même un Président qui déclare « boire du vin midi et soir » et un ministre de la Santé qui ne soutient pas le « Défi de janvier » ! L’alcool, aujourd’hui, n’est pas perçu comme dangereux, au contraire du tabac qui a été associé au cancer et à la mort. La loi Evin et plus largement le plan de lutte contre le tabagisme ont permis de faire baisser le taux de fumeurs chez les ados.
A : Les ados boivent-ils beaucoup ?
G.B : Oui et les parents ne se rendent pas compte que leur enfant grandit et sous-évaluent souvent sa consommation. Or, les ados, filles comme garçons, ont plus d’expérience qu’on ne le pense. L’alcool est très présent dans les soirées des mineurs ». A 17 ans, 1 garçon sur 2 a connu au moins 1 ivresse avec 5 verres et plus le mois précédent, et 1 sur 5 plusieurs ivresses, ce qui est très préoccupant. C’est le binge drinking.
A : Comment éviter que son enfant boive ?
G.B : On peut être tenté de laisser boire son ado avec nous, en se disant qu’il n’aura pas envie de le faire à l’extérieur… mais cela n’empêchera rien. Le rôle de parent, c’est de poser un cadre protecteur. Certains ont du mal à le faire, en se disant « je veux être cool », « j’ai fait les mêmes choses à son âge », « si je m’y oppose, il le fera quand même »… Ce n’est pas drôle certes, mais c’est notre rôle de parent : protéger. Acheter de la bière à son ado, par exemple, c’est banaliser : il va se dire « ok, je peux boire », et cela ne l’empêchera pas de se mettre en danger par exemple en buvant tout le pack ou en allant vers des alcools forts. Le parent est là pour interdire - en ayant conscience qu’il y aura peut-être transgression. Ce qui est efficace, c’est d’expliquer simplement : en tant que parent, on n’est pas d’accord pour que son ado boive de l’alcool, car son cerveau est encore en construction. On peut fixer l’âge à 18 ans, ce qui permet de se reposer sur la loi qui interdit la vente d’alcool aux mineurs.
A : N’est-ce pas le risque de couper le dialogue ?
G.B : Non, il faut avertir : si l’enfant transgresse l’accord et boit quand même, il faut qu’il reste protégé. Ce qui implique d’avoir une discussion avec lui sur le fonctionnement de l’alcool, sur l’ivresse et sur les risques que cela fait prendre. Ce qui est primordial, c’est d’installer une relation de confiance : rassurez-le que même au milieu de la nuit, il peut vous téléphoner, vous serez là pour l’aider, lui et ses amis… Même si vous n’êtes pas ravi, Vous ne lui passerez pas un savon pour autant ! La priorité c’est sa sécurité. Alcoolisé, il ne doit pas rentrer seul à pied ni en voiture. Quand il se produit des drames, c’est que souvent, les jeunes n’ont pas pris les bonnes décisions… Et des décès, il y en a tous les week-end ! L’alcool embrouille l’esprit, et quand on boit, on peut aussi être auteur ou victime d’agressions sexuelles. On n’est plus en mesure de donner son consentement et il faut le dire à cette génération #metoo : la première drogue du viol, c’est l’alcool.
A : Vous parliez de cerveau en construction ?
G.B : L’alcool est un produit psychoactif qui agit sur le cerveau, or, celui-ci est en construction jusqu’à ce qu’on devienne adulte, à l’âge de 24 ou 25 ans. En latin, « adolescens » signifie d’ailleurs « qui n’a pas fini sa croissance ». On sait que les adolescents ont déjà du mal à gérer leurs émotions et à prendre des décisions : c’est physiologique. Mais se prendre des « cuites » tous les week-end, c’est très nocif pour leur cerveau. Lorsqu’on fait des IRM, on y voit des tâches qui correspondent aux destructions de neurones dans les mêmes zones que celles qui sont affectées chez les alcoolo-dépendants plus âgés ! Ces lésions peuvent ensuite se répercuter dans la vie de tous les jours, avec des pertes de vivacité d’esprit et de mémoire, ce qui peut entraver leurs facultés d’apprentissage. Même si d’après les études, il semble que l’impact puisse s’atténuer et le cerveau se régénérer dès l’arrêt du binge drinking, il ne faut pas oublier les problèmes à long terme, avec les risques de développer une addiction et on voit des jeunes devenir dépendants.
A : Vers qui peuvent se tourner les parents qui s’inquiètent ?
G.B : Plus on réagit tôt, mieux c’est. On peut commencer à se poser des questions dès qu’on sent qu’il y a un truc qui ne va pas dans le comportement de l’ado. On pense à l’alcool, mais il est souvent consommé avec du tabac et du cannabis et on parle alors de « polyconsommation ». A la moindre question, vous pouvez contacter la Consultation Jeunes Consommateurs la plus proche de chez vous. Un écoutant va évaluer la situation et proposer plusieurs rencontres. Les médecins de famille, souvent, ne sont pas formés à l’addiction, mais cela peut être également une excellente ressource. Comme toute personne à l’écoute, qui peut être un enseignant, une infirmière scolaire, etc...
Même si les parents sont les premiers acteurs de la prévention, ce ne sont pas les seuls : c’est la responsabilité de la société toute entière. Concrètement si l’on peut trouver de la bière trois fois moins chère qu’un soft, comment lutter ? C’est là qu’il faut d’abord agir pour sauver des vies.