Avec la pandémie, c’était presque passé inaperçu : le Baclocur® peut revenir sur le marché. Le laboratoire Ethypharm est autorisé officiellement, depuis mi-décembre, à distribuer en pharmacie ce médicament à base de Baclofène. C’est le dernier rebondissement d’une longue saga : saisi cet été par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), le Conseil d’Etat a finalement cassé la décision prise le 17 juin par le tribunal administratif de Cergy Pontoise, qui avait suspendu l’autorisation de mise sur le marché du Baclocur® accordée deux jours auparavant.

Pourquoi cette suspension ? A la demande d’associations de patient.e.s en colère contre les conditions très restrictives de l’AMM, qui fixaient le dosage maximum à 80 mg/ jour. Cela ne correspondait pas de facto à l’utilisation des patients, en moyenne à 150 mg/jour : comment auraient-ils pu continuer à se soigner ? Pour bien comprendre, il faut se replonger dans la polémique du Baclofène, qui dure depuis une dizaine d’années. Cette molécule, connue depuis les années 1970 comme relaxant musculaire et prescrite contre les douleurs de la Sclérose en plaque, est popularisée en 2008 par le cardiologue Olivier AMEISEN qui raconte dans Le dernier verre (éditions Pocket), comment il l’a utilisée pour lutter contre sa dépendance à l’alcool. Un effet miraculeux qui a fait un énorme buzz dans l’opinion publique, alors qu’à l’époque, 49 000 personnes par an meurent encore des suites de leur consommation / dépendance à l’alcool.

Mais le milieu médical se divise : si certain.e.s soignant.e.s suivent l’engouement, en prescrivant "sous le manteau", d’autres sont sceptiques : comment soigner sans sevrage, ni cure ? Le Baclofène fonctionne en développant une indifférence vis à vis de l’alcool, qui signe la fin du craving. « Un effet qui se voit très clairement avec une IRM ou même avec le "test de la bouteille" : devant une bouteille, a-t-on envie de boire ou pas ?», explique le Philippe JAURY, généraliste, addictologue et médecin prescripteur de la première heure. Mais, revers de la médaille, le traitement n’est pas standard : il repose sur une augmentation progressive des doses, jusqu’à trouver, pour chaque patient, la dose - palier nécessaire : il peut s’agir de 20 mg comme de 300 mg /jour.

La situation se normalise en 2014, avec la mise en place d’une Recommandation temporaire d’utilisation pour la molécule générique, puis au printemps 2017, le laboratoire Ethypharm dépose une demande d’AMM, en vue de lancer un médicament dédié expressement à la réduction de la consommation d’alcool : le Baclocur®. Mais les études scientifiques se contredisent : l’étude Bacloville, menée par Philippe JAURY, pousse en ce sens, démontrant l’efficacité du Baclofène (50% des patient.e.s sortant de leur dépendance), sans souci majeur, tandis qu’une étude CNAMTS-Inserm souligne l’apparition potentielle, à haute dose, d’effets indésirables : fatigue, somnolence, troubles intestinaux, psychiatriques… et même des cas de décès. La RTU est immédiatement réduite à 80 mg/ jour et l’Autorisation de mise sur le marché, qui est finalement accordée fin 2018, est assortie de conditions très restrictives : prescription uniquement après échec des autres traitements, en complément d’un suivi psychosocial, et, à 80 mg/jour… ce qui provoque la colère des associations de patient.e.s en juin 2020.

A la question « La dernière décision en date, qui permet enfin de commercialiser le Baclocur®, satisfait-elle les Pro-Baclofène ? », Philippe JAURY explique « Oui, c’est une grande victoire pour nous qui militons depuis des années pour obtenir la reconnaissance de cette molécule. Même si le dosage reste bas, les médecins pourront, au besoin, prescrire "hors-AMM", sous-entendu au-delà de 80 mg/ jour ». « Ce qui importe c’est que la messe n’est pas dite, confirme le psychiatre-addictologue Bernard GRANGER, qui compte sur de nouvelles études pour faire évoluer l’AMM : à nous de montrer que même avec des hautes doses, tout se passe bien ». Le laboratoire Ethypharm, de son côté, a déjà lancé une étude, pour surveiller la mise sur le marché.

Le chiffre clé

La Haute autorité de santé estimait à 100 000 le nombre de patient.e.s bénéficiant d’un traitement par le Baclofène en France, début 2017, dans le cadre de la RTU.

Baclocur® ou Baclofène Zentiva® ?

Il devrait y avoir en 2021 deux médicaments à base de Baclofène : le Baclocur® mais également le Baclofène Zentiva® de Sanofi - Aventis, qui était le générique du myorelaxant prescrit jusqu’à maintenant*. En effet, Zentiva® a lui aussi demandé son Autorisation de Mise sur le Marché (AMM).
Problème : quel pourra être le développement du Baclocur®, remboursé à hauteur de 15%, dans la mesure où les pharmacies doivent distribuer, en première intention, le générique, moins cher ?
En revanche, celui-ci est moins pratique, puisqu'il est conditionné en comprimé de 10 mg et non de 20 ou 40 mg.

*Suite à l'AMM du Baclocur®, début 2021, l' Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a annoncé le 12 février 2021 la fin de la Recommandation Temporaire d'Utilisation (RTU) qui, depuis 2014, a permis une utilisation du baclofène (Zentiva® et Liorésal®) dans la prise en charge de l'alcoolo-dépendance.

Témoignage

Comment se soigner si la pharmacie refuse de vendre plus de 80 mg/ jour ? Grace au Baclofène, Isabelle, 42 ans, est aujourd’hui « en cours de guérison ». Elle est tombée dans l’alcool il y a 10 ans, après un divorce douloureux, en buvant avec ses amies, puis seule, le soir, une fois les enfants couchés.
La rencontre d’un nouvel amour puis l’arrivée d’un enfant lui accordent une trêve, avant une rechute, « en pire », l’été dernier. Son généraliste lui prescrit 60 mg de Baclofène, sans que cela ne fonctionne. Elle en parle sur https://www.baclofene.org/ et Sylvie IMBERT, la Présidente de l’association lui conseille un addictologue de son réseau. Aujourd’hui, avec une dose de 150 mg/jour, Isabelle ne boit plus qu’une seule bouteille de rosé le soir, un « réel soulagement ».
Seulement, la pharmacienne du centre commercial, qui la connaît pourtant bien, lui pose des difficultés. « La dernière fois, elle a tilté sur les quantités prescrites et commencé à me questionner alors que j’étais avec mes enfants… L’horreur ! Comment peut-on réussir à se soigner si les pharmaciens ont peur et refusent de délivrer les prescriptions médicales au delà de 80 mg ? Est-ce que cela vaut le coup d’essayer ? »

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